Ces dernières années, sous l’impulsion de plateformes virtuelles comme Zwift, la pratique du cyclisme en intérieur a véritablement explosé. Le home-trainer est devenu un outil d’entrainement essentiel pour réaliser des séances structurées et qualitatives. Pourtant, si vous vous entrainez régulièrement sur home-trainer et sur route, vous avez certainement déjà remarqué une différence notable de perception de l’effort pour une puissance identique. Quelles sont les raisons qui expliquent cette différence de rendement ? Comment réduire cet écart ou adapter ses séances en intérieur pour un entrainement plus efficace ?
Quelle est la différence de puissance entre le home-trainer et l’extérieur ?
Avant s’intéresser aux raisons qui expliquent cette différente, essayons de déterminer l’écart moyen entre une puissance record produite en intérieur et en extérieur.
Une étude de 2014, portant sur des cyclistes amateurs, a mis en évidence que la puissance en extérieur était en moyenne 30% supérieure au cours d’un contre-la-montre de 40 km (Mieras et al., 2014). Si les différences variaient de 11% à 69%, la puissance extérieure était systématiquement plus élevée pour tous les participants. Malgré tout, on peut noter que l’écart de puissance est sans doute sur-estimé du fait qu’aucun ventilateur n’a été utilisé lors des tests, et que les home-trainer utilisés n’étaient pas à entrainement direct, diminuant drastiquement le rendement.
Dans une autre étude menée auprès d’un panel de cyclistes professionnels, le constat est le même. Pour toutes les durées de tests (60, 180, 300 et 840 secondes), la puissance moyenne s’est révélée systématiquement plus élevée en extérieur (Lipski, Elliot & Spindler al., 2022).
Au-delà de ces études, nous pouvons constater auprès des sportifs que nous accompagnons, une différence de puissance de l’ordre de 5 à 10% en moyenne pour les cyclistes qui roulent régulièrement sur HT, et un peu plus (15%) pour les athlètes qui sont moins familiers avec la pratique en intérieur.
Lire aussi : Puissance moyenne vélo VS puissance normalisée : Quelle différence ?
L’exemple de différence de rendement
Prenons le cas d’un cycliste en pleine préparation hivernale pour une saison de compétitions FFC et de cyclosportives et habitué à s’entrainer régulièrement sur home-trainer. Au sein d’un cycle, nous avons intégré une séance de force-sous-max et de vélocité sous la forme de 4 séries de 5 min bas de z4 à 50rpm suivies d’1 min à plus de 110 rpm, toujours bas de z4. La récupération est d’environ 7/8 minutes le temps de redescendre la bosse.
26 jours plus tard, le 14 janvier, nous avons planifié un exercice de rappel, reprenant la structure de la séance précédente, en baissant légèrement la cible de puissance et en enlevant 1 min à l’intervalle en force : 4 x 4 min haut de z3 à 50 rpm + 1 min haut de z3 à plus de 110 rpm. La récupération est légèrement plus courte, mais la FC atteignant rapidement son niveau bas, ça reste négligeable.
Malgré une progression (+29 en condition physique) et une séance plus facile (1 minute de moins et -20w sur la cible de puissance), la perception de l’effort du sportif sur cette dernière séance était identique à la première. La FCmax de la séance vient corroborer ces sensations, avec 179 bpm max pour la séance en intérieur et 180 bpm max pour celle en extérieur (pour une puissance pourtant bien plus élevée). C’est un bon exemple de la différence de rendement entre une pratique sur home-trainer et la route.
Comment expliquer cette différence de rendement entre le home-trainer et la route ?
Il ne fait aucun doute que la différence de rendement est réelle. Une séance identique réalisée sur home-trainer sera perçue comme plus difficile, et c’est tout à fait normal. Voici les 3 raisons principales qui expliquent ces écarts.
Le rendement biomécanique
Tout d’abord, il existe de nombreuses différences biomécaniques entre l’intérieur et l’extérieur. Contrairement à la route, le haut du corps est relativement passif et les changements de position très peu fréquents. Ce sont toujours les mêmes chaines musculaires qui travaillent et qui ne bénéficient pas de micro-périodes de repos.
Une autre différence réside dans la manière dont la résistance est appliquée au pédalage. Les premiers home-trainer à roue (wheel-on) appliquaient une résistance de 360 degrés. La résistance était ainsi appliquée à la totalité du coup de pédale. Sur la route, ce n’est pas le cas, et on constate de légers points morts. Une étude de 2012 a montré que cette simple différence de résistance entraînait une dynamique de pédalage différente, ce qui permet d’expliquer en partie la baisse de l’économie en intérieur (Bertucci et al. 2012).
De nos jours, les home-trainer modernes à volant d’inertie et entrainement direct tendent à réduire cet écart, sans pour autant annihiler totalement les différences de rendement.
La déshydratation et la surchauffe
Le risque de surchauffe et de déshydratation est une autre raison pour laquelle l’économie cycliste peut être réduite lorsque l’on roule en intérieur. Sur home-trainer, la circulation de l’air sur la peau est inexistante. La transpiration est alors l’un des seuls moyens pour le corps de réguler la température interne. Au-delà de la baisse d’efficacité liée à l’augmentation de la température corporelle, les risques de déshydratation sont naturellement plus élevés.
La déshydratation réduit le volume d’éjection du cœur, ce qui entraîne une augmentation de la fréquence cardiaque et une réduction de la VO2max, ce qui contribue également à diminuer les performances.
Le conseil : l’utilisation de plusieurs ventilateurs (idéalement) est un plus non négligeable pour une pratique efficace en intérieur. L’un d’eux peut être placé de face et dirigé vers le corps, tandis que le deuxième peut être orienté sur la tête. Une attention toute particulière doit aussi être portée à l’hydratation au cours et après la séance.
La motivation et l’aspect psychologique
Les facteurs mentaux associés à la pratique en intérieur (l’ennui, l’absence de distractions extérieures, absence de la sensation de vitesse) participent aussi à rendre la perception de l’effort plus élevée en intérieur.
Une étude de 2022 a démontré qu’une séance réalisée en intérieur avait un impact sur la charge mentale plus élevé qu’un effort identique sur route (Irvine et al. 2022). On ne parle ici que de la fatigue mentale liée à l’effort. En hiver, si l’on prend en compte les contraintes liées à la météo, à l’entretien du matériel ou du temps nécessaire pour s’équiper, une séance en intérieur peut finalement être plus intéressante et facile à intégrer dans son quotidien qu’une séance sur route.
Le conseil : pour vos séances en intérieur, l’association application d’entrainement virtuelle (Zwift, MyWoosh, Rouvy, Training Peaks Virtual…) et musique peut rendre les exercices plus agréables en se concentrant moins sur la douleur ou l’inconfort.
La question de la précision des capteurs de puissance
Il arrive également que la différence de rendement soit inversée, qu’une séance s’avère plus facile sur HT que sur route. La plupart du temps, l’explication de cette différence est avant tout technique. Si l’on n’utilise pas le même capteur de puissance (par exemple les pédales Assioma Duo sur la route et le capteur de puissance intégré au home-trainer), la précision n’est pas la même et on peut être soumis à une sur-estimation de la puissance en intérieur.
En basant ses exercices sur des zones d’entrainement obtenues à partir d’un test sur route, les séances sur home-trainer seront, dans ce cas, plus faciles que sur route. Pour contrer cet effet, nous vous recommandons (dans la mesure du possible) d’utiliser le même capteur que sur route (pédalier, manivelle, pédales) et non le capteur du home-trainer. Pour réduire les écarts, nous vous recommandons aussi d’effectuer une calibration régulière de vos capteurs.
Comment ajuster ses zones d’entrainement pour un entrainement en intérieur ?
Il n’existe pas de méthode infaillible pour estimer la différence entre vos valeurs de référence en intérieur et en extérieur. Faut-il pour autant réaliser un test FTP sur route ET en intérieur ? C’est une option. Vous obtiendrez ainsi des données concrètes sur l’ampleur de votre déficit de puissance, et pourrez établir des zones HT et route différenciées. Cependant, comme ces tests CP20 sont particulièrement impactants, nous pensons qu’il n’est pas indispensable de tester sa FTP dans les deux contextes.
Lire aussi : comment déterminer ses zones d’entrainement en cyclisme ?
Plusieurs séances de home-trainer par semaine
Si vous vous entraînez assez régulièrement sur home-trainer (plusieurs fois par semaine, au moins pendant la période hivernale), nous vous suggérons d’effectuer vos tests en intérieur. Même chose, si vous ne pouvez pas trouver de portions légèrement montantes près de chez vous qui vous permette de réaliser un CP20. Vous pourrez ensuite cibler le haut de chacune des zones lorsque vous roulerez sur la route. En fonction de votre RPE et de votre FC, vous pourrez ensuite revoir à la hausse les zones sur route si nécessaire.
1 séance de home-trainer par semaine
En revanche, si vous ne roulez que rarement sur home-trainer (1 sortie par semaine environ), et que votre terrain d’entrainement est propice au testing (montées suffisamment longues et linéaires), nous vous recommandons plutôt d’effectuer vos tests linéaires en extérieur. Vos zones d’entrainement seront ainsi plus proches de vos capacités réelles sur route. Lorsque vous passez sur le home-trainer, abaissez vos cibles d’exercice de 10% et ajustez les séances suivantes en fonction de votre perception d’effort.
Comment réduire la différence de rendement entre une pratique en intérieur et sur la route ?
De la même façon que l’on passe un maximum de temps en position de contre-la-montre pour améliorer son rendement en CLM, plus un cycliste va passer du temps sur le home-trainer, moins la différence de rendement route/HT va être importante.
Parmi les options qui s’offrent à vous, voici quelques pistes à mettre en place pour améliorer peu à peu votre rendement sur le home-trainer :
- Multiplier les sources de refroidissement (ventilateurs, gilet, aération de la pièce)
- Utiliser un home-trainer connecté à volant d’inertie à entrainement direct ou un vélo connecté (comme un Kickr Bike)
- S’assurer que vos capteurs de puissance soient bien calibrés
- Changer régulièrement de position, en alternant phases assises et phases en danseuse
- Intégrer une pratique régulière sur le home-trainer (2 à 3 fois par semaine)
Enfin, il est important de rappeler qu’en dehors de quelques cas (saisons d’e-cycling ou autres compétitions virtuelles), l’objectif final reste d’être performant en extérieur. Malgré tous les avantages de la pratique en intérieur, nous vous recommandons donc de réaliser une partie de votre d’entrainement en extérieur, notamment les sorties longues. Plus vous vous rapprocherez de votre événement ou des compétitions, plus vous devrez rouler en extérieur pour retrouver une gestuelle et un rendement efficaces.
Références :
Mieras, M. E., Heesch, M. W., & Slivka, D. R. (2014). Physiological and psychological responses to outdoor vs. laboratory cycling. The Journal of Strength & Conditioning Research, 28(8), 2324-2329.
Irvine, D., Jobson, S. A., & Wilson, J. P. (2022). Evaluating Changes in Mental Workload in Indoor and Outdoor Ultra-Distance Cycling. Sports, 10(5), 67.
Nybo, L. (2010). Cycling in the heat: performance perspectives and cerebral challenges. Scandinavian journal of medicine & science in sports, 20, 71-79.
Bertucci, W. M., Betik, A. C., Duc, S., & Grappe, F. (2012). Gross efficiency and cycling economy are higher in the field as compared with on an Axiom stationary ergometer. Journal of applied Biomechanics, 28(6), 636-644
Jeffries, O., Waldron, M., Patterson, S. D., & Galna, B. (2019). An analysis of variability in power output during indoor and outdoor cycling time trials. International Journal of Sports Physiology and Performance, 14(9), 1273-1279.
Lipski, E. S., Spindler, D. J., Hesselink, M. K. C., Myers, T. D., & Sanders, D. (2022). Differences in Performance Assessments Conducted Indoors and Outdoors in Professional Cyclists. International Journal of Sports Physiology and Performance, 17(7), 1054-1060.